On a tous des droits mais aussi des devoirs

Membre du bureau du Fonds interprofessionnel d’aide à la formation, Valérie Zaoui revient sur sa mise en place. La montée en compétences des salariés doit améliorer la productivité des entreprises, mais des freins persistent, alerte la dirigeante.
Écrit le 2 August 2017
  • Le Fiaf, que le Congrès a validé fin février, est-il un bon outil ?

Le dispositif du 0,7 % [de la masse salariale, NDLR] n’était pas suffisant parce qu’il ne touchait pas l’ensemble des entreprises. Avec le Fiaf, on touche tout le monde dès le premier salarié et les vrais gagnants, ce sont les petites entreprises puisqu’elles auront une contribution assez faible (0,2 %) et pour autant pourront bénéficier de formations prises en charge en grosse partie ou en totalité par le Fiaf. On a tout intérêt à monter nos salariés en compétences. Pour leur bien mais aussi pour la productivité de l’entreprise. Et puis les métiers évoluent tellement qu’on ne peut pas se contenter de la formation initiale pour tenir toute sa carrière. L’idée, c’est d’avoir tout au long de sa vie professionnelle la possibilité d’être formé pour être à niveau, être compétitif et pouvoir aussi saisir d’autres opportunités.

  • C’est vraiment ce qui va se passer, la possibilité offerte aux salariés de se former régulièrement ?

Chaque entreprise pourra disposer d’une enveloppe de formation dans l’année, mais au-delà, tout un tas de services vont être mis en place dès ce mois d’avril, par exemple le diagnostic court : le chef d’entreprise pourra bénéficier du conseil d’un expert qui viendra délimiter avec lui le champ des formations à venir. Ce n’est pas évident, surtout dans les petites structures, de se projeter et de voir sur quelles compétences faire évoluer ses salariés. Rien que cette phase de conseil, pour beaucoup d’entreprises, ça risque d’être une révélation. Et puis ça permettra aussi aux petites entreprises de mutualiser les formations, celles qui ont un métier un peu spécifique et seulement deux employés pourront se regrouper avec d’autres.

  • Concrètement, quel est le calendrier ?

Les entreprises vont payer le 0,2 % à partir d’avril, c’est une ligne supplémentaire sur la déclaration Cafat. On peut estimer que dans les six mois* le Fiaf sera progressivement opérationnel.

  • La formation continue doit contribuer à améliorer la productivité des entreprises. Quels freins reste-t-il à lever selon vous ?

L’absentéisme est un vrai problème. On a toujours en tête les devoirs de l’entreprise. Or, dans mon expérience quotidienne, je constate que le salarié, très souvent, n’intègre pas ces règles. Un exemple. Il y a quelque temps, j’ai été confrontée à une vague de licenciements qui, en fait, étaient des démissions déguisées. On me dit « je veux arrêter de travailler, licenciez-moi », je réponds « non, vous devez démissionner » – « ah ben non parce qu’on n’a pas le chômage, si vous ne me licenciez pas, je me mets en maladie ». Et la personne disparaît. Vous n’avez alors pas d’autre choix que d’engager une procédure de licenciement. Lorsque j’ai appelé l’inspection du travail pour m’en inquiéter, on m’a répondu « mais qu’est-ce que ça peut vous faire ? » Eh bien moi, ça me fait quelque chose. Je préférerais que cet argent soit destiné à des personnes qui ont vraiment des accidents de vie plutôt qu’à des gens qui vont estimer avoir le droit à un chômage ou à un congé maladie. Tout ça pèse sur la productivité de l’entreprise. Quotidiennement, je sur-staffe mes équipes de 2 à 3 personnes pour être sûre d’avoir le bon nombre d’employés. Ça a un coût.

  • Cette prise de conscience des devoirs du salarié envers l’entreprise, comment espérez-vous la susciter ?

On a à coeur, avec le Medef, de rappeler qu’on a tous des droits mais aussi des devoirs. On va travailler sur des saynètes qui seront diffusées à la radio pour essayer d’expliquer que quand on signe un contrat, on s’engage. Il y a un travail à faire au niveau de l’éducation des salariés.

  • D’autres chevaux de bataille ?

Un autre point très important, c’est la motivation des jeunes à aller vers l’emploi. En étant dans plusieurs commissions, je vois le problème sous différents angles.
Par exemple à la CPEL, la Commission paritaire de l’emploi local, une entreprise qui recrute cinq ingénieurs dans les télécoms a reçu zéro candidature, et cherche donc à l’extérieur, mais les syndicats s’écrient « non il y a des formations ici ». OK mais personne ne postule !
Et puis, dans mon métier de l’hôtellerie par exemple, il n’y a pas d’obligation en sortant des formations professionnelles d’aller vers l’emploi. J’ai été souvent membre de jurys donc j’arrivais aussi avec l’espoir d’embaucher. Eh bien non, les personnes sortant de ces formations repartent en Brousse ou disparaissent. Mais on ne met pas les gens en formation juste pour le plaisir de les avoir « au chaud » pendant six mois. L’entreprise a des besoins. Les provinces paient ces formations et attendent une contrepartie.

  • La motivation est-elle vraiment le problème ?

Pour être dans une autre commission à l’Acdet, qui fait le lien entre l’enseignement technique et les entreprises, les professeurs nous disent que la motivation est un vrai problème. Il y a aussi la question de l’adéquation des formations. Le travail qu’on fait, notamment avec l’Acdet, c’est vraiment d’essayer de réduire le décalage avec les besoins, faire en sorte que les professeurs puissent venir dans nos entreprises, qu’on puisse, nous, venir les rencontrer. Arriver à communiquer et à échanger nos problématiques, c’est déjà s’ouvrir des portes. Tout est en corrélation : la formation initiale – que la demande réponde à l’offre et mieux se connaître –, la motivation des jeunes, l’implication du personnel sur le lieu de travail, et du côté patronal la formation… Tout ça doit se mettre en place petit à petit.

* Interview réalisée le 6 mars 2017.